Il n’était plus du tout question du match. Plus question du repositionnement tactique de Diego Moreira à la pause, de l’utilisation de Kendry Paez axe droit, de l’excellente entrée du nouveau Martial Godo qui a tout chamboulé. Plus question de jeu, de foot, de ce qu’on aime voir au stade. Non. Liam Rosenior s’est installé en conférence de presse d’après match et a dit tout ce qu’il pensait, tout ce qu’il avait dans la tête et sur le coeur, la voix tremblante et la colère coincée dans la gorge. Il était question d’attaques personnelles envers ceux qu’il défend et qu’il a appris à aimer. Voir son capitaine conspué l’a mis hors de lui. Ses réponses ont duré de longues minutes, et son ami traducteur Kalifa Cissé n’était pas moins ému que lui. Liam Rosenior était désabusé « de ce manque de respect envers nous tous », a répété tous les efforts que son groupe fournissait depuis le début, s’est senti « dévasté pour Emanuel Emegha et Marc Keller », cibles de banderoles provocatrices et dégradantes. J’en oubliais presque qu’on était venu voir un match de football.
Quand le foot dépasse le foot… Ce qu’il s’est passé dimanche soir à la Meinau pourra être minimisé par certains, mais marque selon moi un véritable tournant dans la relation entre club et public. La fracture existait déjà, le reste de la Meinau sifflait déjà ce quart d’heure silencieux et conspuait déjà les multiples banderoles. Marc Keller et d’autres avaient déjà été la cible de critiques publiques, par communiqués ou autre tifos. Mais pas comme dimanche soir, pas de cette ampleur, pas de cette façon, pas avec ce retentissement. Simplement parce que c’est la première fois que le club s’étale sur le sujet. Au micro du diffuseur, en conférence de presse, en zone mixte, il n’était question que de ça. Les acteurs se sont sûrement retenus depuis des mois mais tout est sorti d’une traite. Il fallait bien que cela arrive, même si on ne peut que regretter que le Racing se soit malgré lui englué dans un épisode dont il se serait bien passé.
L’image donnée par cette soirée sera de portée internationale. Elle l’est déjà, à vrai dire. Tout le monde a vu que rien ne va plus. La colère n’a cessé de monter depuis 2023 et rien ne s’est arrangé depuis. Malgré les quelques rencontres entre club et Ultras, dont Liam Rosenior a parlé hier. Du désaccord au désamour. Les divergences ont conduit à une guerre d’égo sans fin, qui met aujourd’hui le Racing dans une situation plus que jamais délicate à défendre et à assumer, alors qu’une superbe saison se profile et que cette Meinau qui sait être magique va regoûter à l’Europe 19 ans après. Très franchement, le football business d’aujourd’hui n’est pas celui qui m’a bercé (même à 25 ans seulement). Je comprends la méfiance pour un sport soumis à de la multipropriété, je sais qu’il y a des choses que l’on ne saura pas, des questions qui resteront sans réponse. Mais je sais que le football reste avant tout de l’humain. Des gamins ayant parfois vécu une enfance délicate – c’est le cas ici d’Emanuel Emegha – qui ont réussi à vivre de leur passion et qui veulent juste s’amuser et prendre du plaisir pendant une quinzaine d’années sur les terrains professionnels. Et parce que le football se joue d’abord avec la tête, je doute que mettre un coup sur le moral du groupe lui soit bénéfique.
On ne pourra jamais contenter tout le monde, il est impossible d’obtenir l’unanimité sur n’importe quel sujet… surtout pas sur un thème aussi subjectif que le sport. Mais on a dépassé ce cadre-là. On est passé au privé. Je me demande comment en sommes-nous arrivés là. Je me demande si être un club différent, ce n’est pas justement être en soutien quelle que soit la direction prise. Comme lorsque Strasbourg est retombé en cinquième division. Qu’importe les moyens et qu’importe les résultats, ce public a montré à la France qu’il était l’un des plus fidèles. Pourquoi ne le serait-il pas qu’importe la gouvernance ? Tout ceci reste subjectif et c’est bien là le coeur du problème. Mais il faut simplement constater l’ampleur des réactions des acteurs du club hier soir pour comprendre qu’on ne peut plus poursuivre ainsi. Qui va parler ? Qui va réagir ? Le divorce est-il acté ? Qu’y a-t-il à aller chercher ? Que peut-on espérer ? Strasbourg mérite mieux.